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Smoked mood. | TPK
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2 novembre - 22h17 | Some bitch's place

Smoked mood.
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Marion suivit avec dédain la courbe des lèvres de son interlocuteur quand il se fendit d’un sourire satisfait. Il ravala avec empressement l’envie de lui carrer son poing dans la gueule et, à son tour, grimaça un rictus commercial.

« 'plaisir de faire affaire avec vous ! »

L’homme renifla fort, comme pour se saouler de l’odeur de victoire dans laquelle il devait penser baigner. Il plia avec un soin tout particulier la maigre liasse de billets représentant plus d’un millier de dollars et la glissa dans la poche intérieure de sa veste à défaut de la caler directement dans son caleçon, bien au chaud sous les valseuses - son cerveau atrophié devait lui intimer de conserver un rien de la décence qui lui faisait déjà cruellement défaut. Dans un élan suicidaire, son égo ne l’étouffant pas, il tendit une pogne poisseuse au squelette qui se contenta de lever les yeux vers lui. Marion clappa sa langue fendue contre son palais, se lova plus confortablement dans son fauteuil et pinça sa cancéreuse entre ses lippes pour inspirer une longue bouffée supposée calmer son humeur massacrante. D’un signe du menton, il proposa à son invité de foutre le camp. Vite. Avant que l’envie de lui faire regretter d’avoir franchi le seuil du Naughty H pour lui réclamer de la thune ne se fasse ressentir.
Le type avait un certain culot, c’était indéniable, et une paire de couilles suffisamment grosse pour lui faire oublier son instinct de survie. Venir frapper à la porte d’un homme pour lui demander d’éponger la dette d’un membre de sa famille, c’était une chose ; souffler dans les bronches d’un proxénète pour lui demander de rembourser le pactole avec lequel sa sœur s’était tirée, c’en était une autre.

La porte claqua quand l’importun s’en fut. Marion se pinça l’arête du nez, joua un instant avec les piercings qui la crevait et se leva finalement. Il écrasa le cul de sa cigarette dans un cendrier débordant déjà de cadavres de Gitanes, attrapa son cuir éreinté par les années et sortit de l’antre qui lui servait de bureau en grinçant des dents. Ses lippes tatouées ne tardèrent pas à accueillir une nouvelle sans filtre comme il dévalait l’escalier pour retourner au niveau principal du club. Maussade, il attrapa un homme de main, un deuxième, un dernier qui manqua s’étouffer sur sa pinte de bière lorsqu’on l’interpella, et leur maugréa quelque ordre de revanche : récupérer son dû, redécorer le bar façon Tsar Bomba, faire passer l’envie au type de rejouer les créanciers.
On s’activa en une fraction de seconde, les esprits comprenant immédiatement que le maître des lieux n’était pas d’humeur à attendre. La patience était une vertu inconnue au mort-vivant ; à bientôt quarante ans, il ne voyait plus l’utilité de l’acquérir. Les affaires tournaient de toute manière sans qu’il ait besoin de revoir son comportement, Gene compensant ses travers.

En un tour de bras, l’homme s’enfila un verre de rhum et son éternel blouson noir, attrapa son téléphone et composa un numéro qu’il connaissait sur le bout des doigts. Sans surprise, la tentative de communication se solda en échec, ajoutant davantage à son aigreur du soir.

Il lui fallut une demi-douzaine de coups de fil, quatre courses aux extrêmes de la ville et trois longues heures pour qu’enfin on lui fournisse l’adresse où devait se finir sa quête. La petite peste qui lui servait de cadette avait un don hors du commun pour s’évaporer dans la nature, disparaître de la surface de cette foutue planète sans laisser de traces. Elle était si petite et si frêle qu’elle était d’une simplicité déconcertante à cacher. La Puce aurait pu se dissimuler derrière un rayon de soleil. Mais par chance, l’astre du jour se faisait rare ces dernières semaines à Seattle. Le ciel se contentait de leur pisser à la gueule depuis quelques temps.

Les balais d’essuie-glace battaient un rythme endiablé quand la Mustang s’immobilisa devant un immeuble décrépi des quartiers sud. C’en avait bien valu la peine, de griller de l’essence d’un bout à l’autre de la ville pour revenir à son point de départ. Marion claqua la portière de sa tire avec une violence qui trahissait son énervement, lui qui d’ordinaire se montrait si doux avec une voiture qu’il avait mis des années à retaper. Il avisa les étages du bâtiment avant de s’y engouffrer, tenta de se remémorer à quel palier il lui faudrait s’arrêter et gravit les marches quatre à quatre, trempé comme un chien, son cuir dégoulinant.

La porte manqua se briser en deux tant il y tambourina. De l’autre côté, un bruit de pas pressé suivi de chuchotements peu discrets lui laissèrent entendre qu’il approchait considérablement le Graal. Le chauve fit un pas en arrière en attendant qu’on vienne lui ouvrir, sa patience inexistante mise à rude épreuve. Il résolut d’allumer un nouveau clou de cercueil durant les trois secondes qu’il fallut à une petite blonde aux orbes noirs pour entrouvrir le vantail. Elle passa le nez par l'entrebâillement et leva ses jolis yeux au ciel en reconnaissant le cauchemar ambulant qui se trouvait dans son couloir.

« Qu’est-ce que tu veux ?
- Putain t’as déjà été plus accueillante que ça.
- J’ai pas de temps à t’accorder, rétorqua la jeune femme, je dois me préparer.
- Oh, pardon, tu sors ? T’en fais pas, va ! Il me faudra pas plus de cinq secondes pour la récupérer, maugréa-t-il sur sa cigarette.
- Elle est pas là. »

La blondasse croisa les bras sous sa poitrine, visiblement résolue à ne pas le laisser entrer. Marion lui souffla une épaisse colonne de fumée au visage en crachant :

« Je suis pas d’humeur à ce qu’on me broie les couilles. »

Il repoussa brusquement le panneau de bois, manquant l’écraser dans le nez de la gamine qui le retint de justesse, et entra en trombe comme la tornade qu’il était. Ses pas lourds et pressés le menèrent en moins d’une seconde jusqu’au cœur de l’habitation, un salon à peine plus grand qu’une boîte de conserve où tenaient difficilement un canapé usé, une télévision disproportionnée et une petite cuisine qui n’avait visiblement pas vu de ravalement de façade depuis une quarantaine d’années. Marion fit un rapide tour d’horizon ; ses orbes mauvais accrochèrent la porte de la chambre à coucher qu’il ouvrit à la volée.

Son cœur rouillé faillit lui remonter dans la gorge et l’asphyxier quand il découvrit le visage émacié de Charles. Elle n’avait jamais été bien épaisse, mais la maigreur semblait creuser ses traits plus qu’à leur dernière rencontre.

Le proxénète tapota sa sans-filtre pour faire tomber les cendres qui s’étaient accumulées à son extrémité sans se soucier de la moquette au sol. Il la dégueulassait déjà de ses grolles trempées, un peu plus un peu moins ...

« Puce, souffla-t-il avec un contrôle qu’il ne se connaissait qu’avec elle. »

S’adressant à la blonde qu’il sentait à un mètre à peine de lui, son souffle lui caressant presque la nuque, il aboya plus qu’il réclama un peu d’intimité.
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Mar 3 Nov - 0:45
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« Désolée d’arriver comme ça Hailey mais j’avais nulle part où aller ce soir. » Fit la petite brune quand son amie lui laissa la voie libre jusqu’à son minuscule appartement. « T’inquiète, rétorqua la blonde, Tommy bosse toute la nuit de toute façon. »

Charlie remercia Hailey d’un signe de la tête plus que du son de sa voix et disposa son sac mouillé et ses chaussures dans l’entrée avant de s’aventurer jusqu’au salon, pieds nus, frigorifiée d’avoir passé plus de deux heures dehors sous la flotte que déversait Seattle depuis le grand matin. Elle n’avait pas l’habitude, la petite, de demander de l’aide et préférait se débrouiller seule la plupart du temps. Mais cette fois, c’était différent, elle commençait petit à petit à défaillir, déprimer, en voyant la vie aussi grise qu’elle la voyait plus petite. Bien sûr, ce n’était pas son genre à Charles, de s'apitoyer sur son sort et se laisser aller mais après son escapade à Moscou, elle avait vite compris qu’elle n’était rien d’autre qu’un déchet de la société. (Dans le bon ordre c’était plutôt: La société lui avait vite fait comprendre qu’elle n’était qu’un déchet.)

Hailey lui offrit l’hospitalité; Lui avait permis de prendre une douche et de manger quelques chips qui la rassasièrent quasiment. Mais Ce qui importait le plus à Charlie présentement, c’était pouvoir passer la nuit quelque part, au chaud, sans craindre rien ni personne. Ca lui était arrivé de passer des heures entière dehors et la Puce ne souhaitait revivre ça pour rien au monde parce que les clochards bourrés n’avaient pas de limites et aussi parce qu’elle n’avait aucune défense, aucune échappatoire. Quand on dort dans les bas fonds de Seattle c’est comme se coucher au creux du vice et du danger. Par chance, il ne lui était rien arrivé à part quelques désagréments qui l’avaient dépouillée de la beuh qu’elle traînait au fond de ses poches trouées mais qu’elle retrouva rapidement auprès d’un gars qui la baisait de temps en temps.


La petite soupira en verrouillant son téléphone qui s’était éclairé au moment où son frère avait essayé de la joindre et elle pria intérieurement pour qu’il n’insiste pas. Elle et lui, c’était de l’histoire ancienne depuis qu’il lui avait soufflé dans les bronches pour une histoire d’argent. Charlie était pourtant bel et bien consciente qu’elle n’était qu’une petite conne mais elle se persuadait sans doute un peu trop que les circonstances atténuantes qui lui appartenaient lui donnaient droit à tout; Ce que Marion ne pouvait pas comprendre ni accepter.

Elle était hypersensible quand lui était plus colérique que n’importe qui et trop gentille quand il n’avait aucune empathie pour personne. Il ne pouvait donc pas comprendre que l’on puisse aider quelqu’un qui se disait fauché avec un grand besoin d’argent. Charlie était naïve et c’était peut-être donc ça qui emmerdait Marion jusqu’à la moelle mais la renier ne fit que mettre le feu aux poudres et elle s’était laissée couler sous le mauvais côté de sa personnalité.



« Dis lui que j’suis pas là… » Chuchota Charlie qui se précipita jusqu’à la chambre juste après avoir écrasé rapidement son joint qu’elle laissa disparaître dans l’une de ses poches.

Elle patienta silencieusement sur le lit, comme si elle attendait son tour pour la chaise électrique, les mains moites et le coeur tambourinant contre ses côtes apparentes. Elle supplia intérieurement Dieu pour que le squelette fasse demi-tour, loin d’elle l’envie de remettre sur le tapis leurs dernières disputes. Charlie ne savait pas vraiment pourquoi mais si sa majesté tout droit sorti du trou du cul de son foutu Naughty H était là, ce n’était certainement pas pour rien. Marion ne se déplaçait jamais pour rien, le cas échéant, il faisait déplacer quelqu’un pour lui.

La petite releva les yeux sur la porte quand elle entendit les pas pressés de son pire ennemi et soupira en découvrant son visage. Le sien se décomposa littéralement alors que ses yeux miroitèrent le ciel un court instant.

« Qu’est-ce que tu fous là ? » Cracha-t-elle, les sourcils froncés et les bras croisés autour d’un oreiller comme si ça suffirait à la protéger des foudres qui l’attendaient. « Oh pardon, je devrais plutôt dire: Qu’est-ce que j’ai encore fait pour que tu daignes te déplacer pour venir me voir ? » Mâchoires serrées, elle retint sa respiration, prête à accueillir les éclairs de colère de son frère. Charlie faisait peut-être tout ça exprès, agissait en petite merdeuse juste pour attirer son attention, attention dont elle manquait cruellement.

Mar 10 Nov - 13:44
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Leur hôte, suffisamment intelligente pour savoir qu’il ne valait mieux pas se tenir à proximité de l’orage qui grondait, se retira dans un soupir rempli d’injures auxquelles l’homme ne prêta guère attention. Il était bien trop habitué à ce qu’on le congratule de tous les noms d’oiseaux possibles et imaginables pour s’offusquer de ces quelques insultes, et Hailey lui en avait déjà servi d’autres.

La Puce s’anima lorsque son amie fut à bonne distance. Elle attrapa un coussin qu’elle tordit entre ses bras maigrelets et, comme un chiot qui apprenait à aboyer, couina :

« Qu’est-ce que tu fous là ? »

Les yeux glauques de Marion se fichèrent dans ceux de sa sœur. Il avait tendance à oublier comme elle ressemblait à leur génitrice. L’évidence lui sauta à la gueule à cet instant précis, réveillant une rancœur qui n’était pas destinée à la gamine. Elle était jolie, la Puce, comme avait pu l’être Holly avant que la drogue, les coups et le karma ne s’attaquent à la douceur de ses traits. Lui n’avait pas eu cette chance. Le trentenaire n’avait jamais été particulièrement beau, plus jeune. Plutôt quelconque, en réalité, il avait dû hériter tout ce qu’il y avait de plus laid dans le visage de leur mère, lui offrant la caractéristique toute particulière d’être son portrait craché, l’harmonie et l’esthétisme en moins. Dieu seul savait à quel point il avait détesté le reflet que lui crachait le miroir chaque fois qu’il se regardait dedans avant que l’encre ne ronge l’intégralité de sa peau. Avant qu’il ne dépense une fortune pour se défaire des traits maternels. Il s’était empressé de les faire recouvrir, à défaut de pouvoir les arracher, et pouvait se targuer aujourd’hui de ne ressembler à rien d’autre que lui : un monstre. Une œuvre d’art mouvante, suffisamment bien exécutée pour être belle, encore assez terrible pour être repoussante.

« Oh pardon, je devrais plutôt dire: Qu’est-ce que j’ai encore fait pour que tu daignes te déplacer pour venir me voir ? »

Le masque de Camarde du tatoué se fendit d’un rictus désagréable. Il inspira une longue bouffée de Gitane, ravalant le besoin pressant qui lui chatouillait les entrailles de la défenestrer pour ne pas avoir à la traîner de force dans l’escalier jusqu’à sa voiture.

« Ça me fait plaisir de te voir également. Stew va bien, le chien aussi, merci de t’en inquiéter. »

Il ne se rappelait pas la dernière fois qu’il lui avait parlé. Ou plutôt, il se souvenait parfaitement de leur conversation, mais était incapable de la replacer chronologiquement. Elle lui avait manqué, si bien qu’une semaine sans voir son minois pouvait sembler une éternité. Et des éternités, Marion en avait subi un paquet ces dernières années. La Puce avait passé tant de temps à grandir sans lui … Il n’avait pas vu le jour où elle avait arrêté d’être son bébé pour devenir une petite conne effrontée qu’il n’avait pas le droit de gifler pour lui remettre les idées en place. L’envie le démangeait pourtant ; les fourmis se faisaient plus nombreuses que jamais au creux de sa paume.

« J’ai rencontré ton patron aujourd’hui, lança-t-il pour se distraire. Un type charmant, vraiment … Il m’a sympathiquement proposé de me soulager d’un bon millier de ronds. »

Une seconde passa, le temps de laisser le loisir à Charles de comprendre tout ce que cette annonce impliquait. La colère qui grondait et qui transparaissait dans ses mots n’était rien face à la déception qu’il ressentait. Cette fichue déception d’avoir toujours et encore à ramasser les pots cassés pour une enfant incapable de grandir, incapable de se comporter décemment. En adulte. Elle réclamait pourtant qu’on la respecte, qu’on la traite comme la grande personne qu’elle disait être. La Puce se voulait responsable quand elle n’était pas même capable de garder un emploi et un toit sur sa tête.

Il claqua sèchement, de sa voix rauque éternellement imbibée de tabac et d’alcool :

« La prochaine fois que tu tires de l’argent à quelqu’un, fais en sorte que ça soit à une blonde bien foutue, histoire que je puisse au moins prendre mon pied quand je me fais baiser par ta faute. Marion désigna le coussin : lâche ça et ramasse tes affaires. On y va. »
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Dim 6 Déc - 19:00
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Charles retint sa respiration durant quelques longues secondes qui lui paraissaient être une éternité. Elle attendit gentiment que la foudre ne lui retombe dessus sans finalement n’apercevoir que quelques éclairs ressortir de la bouche teintée de son demi-frère. Il n’avait pas l’air si en colère finalement, ou il cachait très bien la tempête qui se jouait en lui et Charlie se soulagea de ne rien entrevoir de ce que Marion pouvait ressentir à ce moment très précis.

La petite brune ne connaissait pas encore les raisons de la venue de son squelette de frère mais pouvait facilement s’imaginer qu’il s’agissait de quelque chose d’assez grave pour qu’il daigne se déplacer jusqu’ici. Elle ne se demanda même pas comment il avait pu la retrouver, Marion étant un expert dans ce domaine sans que Charlie ne puisse savoir comment il pu acquérir un don aussi puissant. Partout où elle allait, c’était exactement comme si elle fut munie d’une puce localisatrice dès sa naissance tant Marion avait pu la retrouver maintes et maintes fois.

La silence embauma la petite chambre à l’odeur de marijuana et de ses grands yeux, la Puce observait Marion tout en tenant fermement l’oreiller contre sa poitrine, oreiller qu’elle matérialisa dans son esprit comme un bouclier contre les remontrances de Marion. Et alors qu’elle s’attendait encore à des cris, les explications tombèrent et la bouche de Charles s’entrouvrit, bouche-bée. Son ex-patron avait donc eu les couilles d’aller voir Marion pour retrouver l’argent qu’elle lui avait pris, quel culot ! Se dit-elle.

Et les mains minuscules de Charlie commencèrent à se parsemer d’une moiteur qu’elle avait connue à chaque fois qu’elle se retrouvait dans cette situation. Ainsi, elle retrouva également les battements effrénés de son cœur qui ricochaient dans ses tempes et qui titillaient en même temps ses paupières qui se gorgèrent d’une eau salée qui ne coula pas immédiatement. La boule dans sa gorge se déploya lentement mais avec ardeur et elle tenta de maîtriser le rythme accéléré de sa respiration tout en avalant sa salive plusieurs fois par minutes.

Elle se sentait merdique, plus basse que le sol et même les vers de terre semblaient peser plus lourds qu’elle dans la considération que le monde portait à chacun. Charlie avait rêvé cent fois d’être effacée de la carte gigantesque de la Terre, mais avait retrouvé aussi cent fois le courage de se relever et de vivre malgré les embûches parsemées sur toute la longueur du chemin qu’elle devait parcourir.


La Puce lâcha le coussin, ne couina pas, ne s’opposa pas non plus et se fit étrangement très docile pour une fois. Elle bougea doucement du lit, baissa les yeux pour ne plus à avoir à affronter le regard sévère de Marion et attrapa son sac à dos avant d’y plonger hasardement chacune de ses affaires. Ce fut très rapide puisqu’elle ne possédait quasiment rien et elle referma la sac avant de passer sa veste qui n’était plus du tout appropriée pour la saison.

Elle le suivit silencieusement, fit un geste à Hailey pour lui dire au revoir et ils passèrent la porte, Marion devant et elle, qui tentait de le suivre. Sur le chemin qui les conduisait à la voiture, Charlie s’arrêta un instant avant de relever les yeux sur Marion qui avait remarqué tardivement qu’elle ne le suivait plus. « Je suis désolée Marion… Je pensais pas qu’il viendrait te voir, je savais même pas qu’il savait que tu étais mon frère. Je comptais le rembourser en plus. » Charlie bégayait et ce n’était pas son habitude. Elle qui avait des suites dans les idées, parlait toujours en étant sûre de ce qu’elle avançait, en étant sûre d’elle. C’était différent maintenant, elle avait perdu en crédibilité mais en confiance surtout.

Le petit bout de femme qu’elle était s’avança vers Marion à nouveau et prit son sac devant elle pour l’ouvrir et chercher son portefeuille. « Je vais te redonner l’argent. » Fit-elle tout en dégainant une vieille pochette qui n’était certainement même pas destinée à recevoir des billets à l’intérieur. Charles recompta les dollars qu’elle possédait et les rassembla dans sa main. « J’ai soixante-dix huit dollars, tiens. » Elle tendit la main qui tenait l’argent à Marion et inspira lentement. « Je te donnerai le reste plus tard, ça te va ? » C’était tout ce qui lui restait, moins de cent dollars qui lui auraient permis de manger et de trouver, peut-être, un motel pour les nuits suivantes. « Je devrais avoir la paie de l’école dans pas longtemps et je fais du babysitting dans trois jours, ça pourrait déjà rembourser une partie de ma dette. » Les émeraudes de Charlie se relevèrent vers le squelette qui semblait excédé et elle était triste de se rendre compte qu’elle pouvait lire la déception dans un de ses simples regards. « Je suis désolée… » Répéta la gamine en baissant les yeux sur ses chaussures usées par le temps. Elle l’était vraiment et c’était bien la première fois qu’elle ne se rebellait pas face à Marion, la fatigue peut-être, la lassitude encore plus certainement.
Lun 7 Déc - 11:42
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Marion passa sa langue fendue sur ses lèvres avant d’y loger sa cigarette. Maussade, sa mâchoire crispée trahissait l’amertume qui pulsait dans ses veines. Il avait fréquemment l’air en rogne, ces derniers temps ; le voir serrer les dents n’avait donc rien d’inhabituel, surtout lorsqu’on lui faisait cracher l’argent durement gagné par ses filles. Le sang-froid dont il faisait preuve et la hargne qu’il mettait à se contrôler pour ne pas démolir le petit bout d’être devant ses prunelles, en revanche, étaient bien plus rares. Il ne les réservait qu’à sa demi-sœur. Tout autre radasse - ou couillon muni d’un service trois pièces, il ne faisait pas de distinction dans ses moments de rage - aurait déjà fait les frais de son humeur : un crâne fracassé à coups de poings, un corps jeté dans l’un des lacs ou ruisseaux qui crevaient le sol de Seattle, un appartement saccagé pour apprendre à la blondasse qui se serait permis de la recueillir qu’on ne refusait pas l’entrée à un homme comme lui. La Puce n’avait de chance que celle d’être chère à son cœur, puisque le nom de famille qui les rattachaient l’un à l’autre n’avait aucune importance à ses yeux. Il avait démoli Holly sans le moindre remord, il aurait pu la briser également.

Contre toute attente, alors même qu’il s’attendait à entendre sa cadette brailler, piailler qu’il n’était qu’un connard dont elle n’avait pas besoin, qu’elle était assez grande pour se débrouiller seule et n’avait pas de comptes à lui rendre, Charlie s’exécuta. Ses grands yeux mouillés se baissèrent comme ceux d’un chien qu’on réprimandait, et elle se leva. Plus silencieuse qu’elle ne l’avait jamais été, elle rassembla ses affaires, passa son sac sur ses épaules trop frêles et quitta la chambre sans autre forme de procès en lui emboîtant le pas.
Hailey s’agita quelque peu, lança un regard assassin à Marion quand il écrasa son mégot sur un bras de canapé au passage, et un autre, inquiet, à sa petite ombre. Cette dernière ne pipa mot, se contentant d’un vague signe de la main pour s’excuser de son départ et peut-être même d’exister, d’avoir dérangé le calme qui régnait dans l’appartement en y apportant une tempête. Le tatoué estimait pourtant qu’il avait su faire preuve de calme et de diplomatie, un comportement pour le moins encouragé par la docilité de la Puce.

Ils n’étaient pas encore sortis de la résidence qu’une voix hésitante s’élevait derrière lui. Le proxénète pivota sur ses talons et fit deux pas pour réduire les quelques mètres qui les séparaient.

« Je suis désolée Marion… Je pensais pas qu’il viendrait te voir, je savais même pas qu’il savait que tu étais mon frère. Je comptais le rembourser en plus. »

Un soupir mauvais souleva ses épaules. Avec quoi comptait-elle rembourser son ancien patron ? L’argent qu’il avait déposé durant des années sur un compte bancaire à son nom et qu’elle s’était empressé de laisser à son précédent petit ami ? Marion doutait que le type soit enclin à prendre les larmes comme moyen de paiement, et il ne voulait pas imaginer qu’elle fût assez désespérée pour se servir de son cul pour éponger ses dettes. Ou plutôt, il espérait que ce réflexe de survie n’était pas héréditaire.

« Je vais te redonner l’argent. »

La gamine fouilla nerveusement une petite trousse qui devait renfermer le peu d’économies qui lui restaient. Elle tendit, déconfite, une poignée de dollars, à peine de quoi vivre quelques jours dans cette ville de merde.

« Je te donnerai le reste plus tard, ça te va ? Je devrais avoir la paie de l’école dans pas longtemps et je fais du babysitting dans trois jours, ça pourrait déjà rembourser une partie de ma dette. »

La Puce releva deux billes encore humides vers son frère. Il lui arracha la petite liasse des doigts alors qu’elle s’excusait à nouveau et enfouit le maigre pactole dans son cuir, soustrayant mentalement la somme à celle qu’il avait dû débourser pour se débarrasser du créancier. Le squelette lui agrippa l’épaule pour la pousser vers l’avant, la sortie, la pluie qui battait toujours et encore le pavé. Il la conduisit rapidement vers la voiture, ses griffes plantées dans ses os, ouvrit la portière passager, la jeta à la place du mort et contourna le nez de la Boss pour s’enfoncer à son tour dans l’habitacle.

« De quelle école tu parles ? »

Son ton sec frappa sourdement les vitres. Il passa une main sur son crâne pour le débarrasser des gouttes qui y perlaient, fouilla ses poches à la recherche de la clé, enfonça le précieux sésame dans le contact mais s’interrompit avant de réanimer le moteur. Le mort-vivant fixa le vague un instant, le pare-brise martelé de trombes d’eau, une pensée crasse filant entre ses deux oreilles. Les narines dilatées, la mâchoire proche de se briser tant il serrait les crocs, il ordonna :

« Relève tes manches. »

Et comme elle ne s’exécutait pas assez rapidement, il lui saisit le poignet, le tordit dans sa direction et attrapa le tissu qui recouvrait sa peau diaphane pour le faire glisser au-delà du coude. Le regard inquisiteur de Marion remonta chaque veine qui crevait l’épiderme, cherchant le signe quelconque de l’endroit où pouvait bien passer l’argent de sa sœur. Il ne trouva pourtant pas de trou. Pas de bleu. Pas de petit vaisseau éclaté sous la pression d’une seringue, aussi la relâcha-t-il avec autant de violence qu'il l'avait attrapée. Il planta un regard teinté de pitié et de dégoût dans ses prunelles si claires.

« Tu fais quoi de ta thune ? Tu te refais la cloison nasale ? Oxy ? Fentanyl ? Putain t’es tellement maigre qu’on a l’impression que tu vas tomber en morceaux. »
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Lun 7 Déc - 21:15
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Les billets glissèrent de ses doigts maigres en même temps que sa dignité et les émeraudes que la Puce releva vers son frère s’embuèrent davantage lorsqu’elle se rendit compte de tout le dégoût et toute la colère qui déformaient son visage déjà bien transformé. Ca lui fendit le cœur à la gamine, lui rappela qu’elle n’avait que lui et que ses rêves de le rendre fier s’envolaient à chaque fois qu’ils se retrouvaient dans cette situation de merde. Les larmes étaient à deux doigts de couler mais Charles les ravala difficilement avec ce qui lui restait de courage tandis qu’elle serrait les dents pour maintenir les sanglots bien à l’intérieur.

La pluie frappa les tempes de Charlie qui tenta de suivre les mouvements ordonnés par les doigts de son frère plantés dans son épaule et elle ne dit toujours mot quand il l’obligea à s’asseoir du côté passager, se laissa faire étrangement. Elle s’était imaginé une seule seconde partir en courant, loin, le laisser avec ses billets et elle, elle aurait repris sa vie instable sans qu’il n’en sache jamais rien. Mais voilà, la Puce était arrivée à un stade où elle ne pouvait pas reculer face à Marion, ou du moins, elle était bien trop fatiguée par ce que la vie avait fait de son existence pour pouvoir s’enfuir et rester, par-dessus tout ça, digne. Alors, en moins de temps qu’il fallait pour le dire, elle avait décidé de rester et de laisser Marion s'immiscer encore une fois chez elle.

Le silence dans l’habitacle de la voiture pesa lourd sur les épaules de la petite et elle tourna légèrement le visage  quand le squelette décida enfin de la questionner. Elle balbutia tout en retirant les cheveux mouillés qui étaient collés à son visage. « L’école élémentaire de Seattle, j’y-j’y fais l’entretien… » Charles n’était pas fière de dire qu’elle faisait le ménage dans une putain d’école où même les élèves, qui étaient parfois presque aussi grands qu’elle, se moquaient encore, lui rappelant sans arrêt que c’était uniquement pour ça qu’elle détestait les cours.

La brune attendit sagement que son frère démarre, au moins pour que le vrombissement du moteur puisse cacher les bruits incessants de son cœur qui tambourinait contre ses côtes et qui envahissait en même temps son crâne. Ca n’arriva pas, il ne démarra pas et Charlie commençait à se questionner tout en relevant un regard inquiet vers Marion. « Quoi… ? » Demanda-t-elle, ne comprenant qu’à moitié ce qu’il voulait. Elle n’eut pas le temps d’obéir qu’il prit déjà son poignet pour en découvrir le bras tandis qu’elle couinait un “aïe” quasi-inaudible. Elle le regarda faire un moment, quelques longues secondes suspendues dans le temps qui fissurèrent tout en elle. La Puce était déjà brisée mais c’était exactement comme si son frère avait pris les restes d’elle pour en faire des miettes qu’il souffla au loin.  

Elle redescendit sa manche dès lors qu’il la relâcha et posa son bras contre sa poitrine qui se serrait davantage encore. « J’y crois pas... Tu me prends pour une droguée ?! » La gamine se sentait mal et il lui fallut s’armer de toute sa concentration pour éviter de tomber, transformer toute cette rage et toute cette peine en tremblements et en simples larmes qui roulèrent enfin le long de ses joues. « Je suis PAS une droguée Marion ! Et j’ai toujours été maigre, c’est mon corps qui est habitué comme ça. Mais… T’as jamais remarqué ? Ah non, excuse moi, t’étais trop occupé à vouloir tuer mon père ou à tabasser notre mère. Désolée Marion si je suis pas nette, si je suis pas comme tu voudrais que je sois mais va falloir t’y faire. Oh, j’y pense, désolée j’ai menti, attend. -Elle ouvrit son sac, fouilla à l’intérieur et balança sur son frère des résidus d’herbe séchée dont l'odeur embauma immédiatement toute la caisse- Je suis obligée de fumer ça pour éviter de me rappeler tous les soirs que TU m’as abandonnée et que c’est pour ça que ça tourne pas rond chez moi. » Elle passa une main sur son visage avant d’essuyer avec sa manche son nez qui coulait. « Tu recevras les sous dès que je les aurais. » Finit-elle par cracher à Marion tout en se tournant vers la portière, tremblante, apeurée et angoissée. La Puce avait peur des retentissements que tout ça allait avoir sur elle et toute sa vie il lui avait suffit d’un craquement pour qu’elle ferme fort les yeux tout en rentrant son crâne dans ses épaules. Elle était habituée à tant de violence et de souffrance qu’elle s’attendait à tout, surtout venant de la part de Marion. Elle s’imaginait déjà étranglée, morte, balancée quelque part parmi les déchets et souvent elle s’était dit que c’était peut-être mieux ainsi et que la vie ne valait de toute façon pas la peine d’être vécue si c’était pour vivre comme ça.


Charles posa la main sur la poignée qui lui aurait servi si elle avait voulu s’enfuir à nouveau mais elle n’eut pas le courage cette fois et pleurnicha de plus belle tout en posant son front contre la vitre gelée, les sanglots comme un appel à l’aide pour musique de fond. « Si au moins j’avais pu crever, t’aurais été plus tranquille. Je suis désolée Marion, tellement désolée… » Répéta la petite qui n’eut pas la force de sortir et qui resta plantée là, attendant que ça se passe, comme d'habitude.  
Mar 8 Déc - 10:09
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Se nourrissait-elle seulement ? D’autre chose que de speed ? Marion connaissait par cœur les effets de cette drogue sur le corps d’une femme. Il en gavait certaines de ses danseuses lorsqu’elles étaient trop éreintées par le travail ou qu’il les jugeait trop grasses pour pouvoir se déhancher correctement sur les cuisses des clients. Si certaines radasses portaient à merveille les kilos en trop, la plupart de ses filles se vendaient mieux quand elles avaient la taille fine mais les fesses pleines, un savant mélange qui s’obtenait en leur coupant la faim et en usant leur cul à coups de reins. Les amphétamines les rongeaient rapidement, creusant la taille, révélant les côtes, ne laissant parfois qu’un peu de chair sur les os. Il n’aurait pas été étonné que la gosse enfoncée dans le siège à ses côtés lui révèle s’en coller plusieurs grammes dans les narines chaque jour tant elle paraissait maigre. Bien plus que la dernière fois qu’il l’avait vue.

La Puce parut excédée, soit qu’il avait mis le doigt sur une vérité qu’elle peinait à s’avouer, soit qu’il venait d’ébranler violemment le peu d’égo et de dignité qu’elle s’autorisait encore. De lourdes larmes roulèrent sur ses joues, creusant des sillons sur sa peau si pâle, comprimant le palpitant essoufflé de rage du trentenaire.

« J’y crois pas… Tu me prends pour une droguée ?! »

Le squelette se désaxa pour mieux se tourner vers elle. Une épaule enfoncée dans son siège, il considéra d’un œil noir le minois tordu de chagrin, de colère et de déception de la petite. Les nombreuses taches de rousseur qui le constellaient avaient une inflexion triste, et il remarqua douloureusement qu’il y avait bien longtemps qu’il ne l’avait vue sourire ou entendue rire aux éclats.

« Je suis PAS une droguée Marion ! Et j’ai toujours été maigre, c’est mon corps qui est habitué comme ça. Mais… T’as jamais remarqué ? Ah non, excuse moi, t’étais trop occupé à vouloir tuer mon père ou tabasser notre mère. »

Les tympans du proxénète vrillèrent brutalement. Il n’avait pas de mère et n’en avait jamais eue. Le cadavre qu’ils avaient mis en bière un an plus tôt était celui de sa génitrice, tout au plus. Une chienne, camée jusqu’à l’os. Une gamine stupide qui s’était fait engrosser, n’avait pas voulu du rejeton, mais avait bien dû s’en accommoder. Et quelle accommodation ! Dieu seul savait comment Marion avait tenu, comment il avait survécu sans une bribe d’intérêt ou d’amour maternel. Il lui devait d’être né, mais rien d’autre. Pas même le respect. Là résidait la principale différence entre sa demi-sœur et lui : Charles s’accrochait toujours et encore à la croyance idiote qu’elle était redevable à Holly pour l’avoir mise au monde, quand elle aurait dû la haïr du plus profond de son être. La Puce n’était qu’un accident de plus entre deux prises d’héroïne.

« Désolée Marion si je suis pas nette, si je suis pas comme tu voudrais que je sois mais va falloir t’y faire. Oh, j’y pense, désolée j’ai menti, attend. »

Il battit des paupières quand la petite lui lança un pochon presque vide. Il n’était pas sûr de pouvoir récupérer un malheureux gramme d’herbe s’il raclait les bords, et pourtant l’odeur douce d’agrumes emplit l’habitacle de la voiture.

« Je suis obligée de fumer ça pour éviter de me rappeler tous les soirs que TU m’as abandonnée et que c’est pour ça que ça tourne pas rond chez moi. »

Un sifflement méprisant passa entre les dents du tatoué. Il fouilla le vide-poche entre leurs sièges pour récupérer le paquet de sans-filtres qui traînait là et s’en cala une au bord des lèvres. Le crissement caractéristique de son zippo se fit entendre quand il alluma son clou de cercueil.

Elle n’avait pas idée du poids de ses mots, moins encore de l’amertume qui lui creva le cœur à les entendre crachés de la sorte. La Puce n’était encore qu’une enfant quand on lui avait retiré toute chance de pouvoir en récupérer la garde. Qu’un petit bout de rien qu’il aimait plus que tout, auquel il aurait voulu donner une vie. Mais le Juge, Holly et son connard de dealeur s’étaient acharnés à l’éloigner d’elle à grands coups d’ordonnance restrictive. Ils n’en seraient pas là aujourd’hui si ce foutu papier ne s’était pas tenu entre eux. Tout aurait été différent si Marion s’était contenté de planter une balle entre les deux yeux du père de Charlie, ce soir-là. Jamais cette pourriture et la pouffiasse qu’il ramonait n’auraient pu appeler les flics s’il les avait crevés tous les deux. Jamais cette salope de la protection de l’enfance n’aurait arraché la gamine à ses bras. Jamais la prison ne l’aurait empêché de voir les yeux verts de son bébé. Il se serait sans doute comporté différemment s’il avait été son tuteur légal. Il aurait peut-être pu éviter son second séjour en cabane. Elle aurait pu grandir à ses côtés. Il aurait pu assister à ses spectacles de danse, ses concerts, ses compétitions d’équitation ou ses concours d’éloquence. Il aurait effrayé son premier petit ami et le dernier. Il aurait été là à sa remise de diplôme et l’aurait déposée pour son premier jour d’université. Elle n’aurait jamais manqué de rien, surtout pas de tout l’amour qu’il lui portait. Comme leur vie aurait été différente s’il s’était sali les mains. Si.

Marion n’avait jamais tant regretté d’avoir épargné quelqu’un.

« Tu recevras les sous dès que je les aurais, larmoya-t-elle finalement. »

Charlie se détourna, collant son front contre la vitre passager, les yeux et le nez rouges d’avoir pleuré. Il crut un instant qu’elle allait s’en aller, claquer la porte de la voiture et mettre un terme définitif à leur relation. Mais les doigts maigrelets, suspendus à la poignée, ne l’actionnèrent pas. Elle se contenta de lâcher un brûlot crasse qui acheva une bonne fois pour toutes les résistances du chauve.

« Si au moins j’avais pu crever, t’aurais été plus tranquille. Je suis désolée Marion, tellement désolée…
- Tu devrais apprendre à la fermer plutôt que de dire des conneries pareilles, vomit-il en même temps qu’une épaisse colonne de fumée. Putain t’es pire qu’une adolescente ingrate. Tu sais où tu peux te la carrer, la carte de l’abandon ? Estime-toi heureuse de m’avoir eu ; tu serais pas là pour chialer si j’avais pas été là pour m’occuper de toi et recadrer tes géniteurs de temps à autres. Tu crois qu’ils t’auraient torché le cul, eux ? Tu crois qu’ils se seraient fait chier à te faire manger ? Il fulminait, sa voix faisant presque vibrer les vitres. Elle a jamais pris soin de toi, ta mère, parce qu’elle en avait rien à foutre de ton existence. Le seul pour qui tu comptais, c’était moi. Je t’ai pas abandonnée, j’ai juste fait ce que j’ai pu pour t’assurer un semblant de vie alors que j’étais qu’un gamin moi-même et qu’on me foutait des putain de bâtons dans les roues. C’est pour ça que ça tourne pas rond chez moi, répéta-t-il avec dédain. Tu t’es déjà demandé comment ça m’avait crevé de devoir te laisser chez tes vieux toutes ces années ? Ou d’avoir à te flanquer dans les pattes d’un des gars de Van pour m’assurer que tu finirais par par claquer sous un pont ou d’une overdose comme ta salope de mère ? J’avais pas vraiment le choix, tu vois. J’étais en conditionnelle, j’avais interdiction de t’approcher. On te trouvait chez moi, je repartais en cabane direct. Et merde, autant dire que tu m’aurais certainement plus revu de ta vie. Mais t’as jamais pensé à ça, pas vrai ?! T’as jamais été foutue de réfléchir. T’es qu’une petite conne égoïste qui pense que le monde tourne autour d’elle. Réveille-toi, Puce, t’es pas la seule à morfler ici-bas. On est tous des sous-merdes qui prennent cher. La seule différence, c’est que je pensais pas qu’à ma gueule, quand je t’abandonnais. Toutes mes putain de décisions, je les ai prises dans ton intérêt. »

Il s’enfonça dans son dossier et tourna la clé dans le contact pour faire vrombir le moteur de la vieille voiture. Le grondement sourd des chevaux fut quelque peu étouffé par la pluie lorsqu’il pressa l’accélérateur pour s’éloigner au plus vite et lui retirer toute opportunité de quitter l’auto sans avoir à sauter en marche.

« Pas besoin de pointer à ton boulot demain. Si t’es capable d’astiquer le sol d’une école primaire, t’arriveras probablement aussi à le faire au Naughty. Je te veux dans les parages pour pouvoir te garder à l’œil et m’assurer que la thune que tu me dois arrive rapidement dans mes poches. Tu recevras pas plus que la greluche qu’il va falloir que je vire pour te filer sa place, c'est-à-dire une misère. Je ponctionnerai directement un tiers, tu te démerderas avec le reste. »
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Mar 8 Déc - 22:29
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C'était pire que de se noyer, pire que de brûler vif ou de se faire étrangler. Les sensations qui prenaient les tripes de la Puce lui firent un mal de chien et les larmes qui traversaient son visage matérialisaient très bien les émotions qui la ravagèrent à cet instant précis. Elle suffoquait, manquait terriblement d'air dans cette caisse qui sentait maintenant l’herbe et dont l'oxygène restant fut rapidement remplacé par la fumée épaisse et blanche d'une des cigarettes de Marion. Charlie toussota une ou deux fois avant d'essuyer l'une après l'autre ses joues endolories par la tristesse et dont les rougeurs s'intensifiaient à mesure qu'elle y passait frénétiquement ses manches. Elle savait la portée de ses mots et la significations de ces derniers; savait la dureté, l'amertume et la colère qu'ils pouvaient engendrer mais on ne pouvait pas lui enlever ça à la gamine, c'était toujours étonnement limpide dans sa bouche et c'était peut être aussi ce qui lui faisait toujours défaut.

Le squelette qui se trouvait à côté d'elle ne lui sembla jamais aussi éloigné qu'à ce moment précis et sans enlever son crâne de la vitre, la gosse pivota légèrement pour se prendre en pleine gueule la bourrasque qu'il voulait bien lui asséner, les paupières plissées par ses sourcils qu’elle fronçait peut-être pour amortir elle-même le choc. Les éclairs avaient laissé place à la foudre et les grands yeux clairs de la petite se plantèrent dans ceux de son frère comme si d'un simple regard elle pouvait atténuer la rage qui émanait de lui. Il n'en fut rien puisqu'un flot d'immondices se déversèrent sur elle comme la pluie qui battait le pare-brise. C’était aussi violent que ce qu’elle avait pu lâcher juste avant et si on s’était amusé à compter les points que chacun avait gagnés, il y aurait eu un partout.

Charlie aurait voulu lui dire qu'elle savait et que ce n'était pas vraiment à lui qu'elle en avait voulu toutes ces années  mais bien à la terre entière pour avoir séparé deux êtres qui s'aimaient comme eux s'aimaient. Mais elle ne put placer un seul mot, devait se la fermer quand Marion semblait essoufflé tant il déballait son sac tout en l'insultant de temps à autres. Et il avait raison dans le fond, elle n'était qu'égoïste quand il semblait être celui qui avait tout fait pour elle. Mais il fallait un responsable à sa vie de merde, l'une était crevée, l'autre était justement en train; Marion semblait être le dernier sur sa liste et Charlie se devait de lui faire bien comprendre.

La gorge de la Puce n'avait jamais été si serrée, ou du moins, c'était l'impression que son corps lui donnait. Il y avait eu mille fois où sa carcasse toute entière avait été mise à rude épreuve mais du plus loin qu'elle puisse se souvenir, elle ne se rappelait pas d'avoir été un jour aussi douloureuse. Elle déglutit avec force, tenta de calmer sa respiration et les fourmillements qui lui picotaient les lèvres et le bouts des doigts tout en se rendant compte qu’elle était incapable de répondre quoi que ce soit. Sa mâchoire tremblait de concert avec ses mains et si elle n’avait jamais connu la sensation d’être empalée vivante, c’était tout comme.


C’était presque un soulagement d’entendre un autre son que la voix rauque et grasse de Marion qui grondait, même si les ronflements de la voiture signifiaient qu’elle était condamnée à le suivre.
Sans faire le moindre mouvement, la gamine resserra son sac contre elle, regardant dans le vague comme si ça suffirait à faire passer le choc.

Un silence embauma l’espace et si les battements du cœur de la petite prirent toute la place dans son esprit, il y avait aussi les souvenirs qui affluaient un à un à la lisière de son crâne. Bien sûr que tout le monde morflait et que la douleur qu’elle ressentait était commune à beaucoup de personnes mais il s’agissait d’elle et il s’agissait aussi de Marion, il ne pouvait décemment pas les comparer à quelqu’un d’autre. A la différence du mort-vivant, Charlie se sentait seule tous les jours de sa putain de vie, elle n’avait pas de Stew avec qui elle pouvait affronter ses démons et ceux des autres qui croisaient sa route. Elle n’avait pas non plus de collègue sur qui se reposer et sur qui s’appuyer. Donc, son frère n’avait aucune putain de raison de comparer sa propre douleur à la sienne.

Le petit museau rougi de Charlie se tourna vers son frère uniquement quand il reprit la parole et elle l’écouta avec attention puisqu’il voulait lui refourguer un boulot qui remplaçait celui qu’elle avait déjà. Elle fronça les sourcils d’incompréhension d’abord puis entrouvrit sa bouche pâteuse ensuite, surprise de ce qu’il avançait.

« D’accord Marion. Fit-elle, étonnement sans se rebeller et sans dire un mot. Mais qu’est-ce que je vais dire à l’école ? » Elle qui n’avait jamais quitté un travail, s’étant toujours fait virer, se retrouvait bête face à la situation que son frère lui proposait.

***

Arrivés dans les bas-fonds de Seattle, Marion gara sa tire et la Puce ne tarda pas à sortir, l’air lui manquant terriblement. Elle se prit à nouveau la pluie mais n’y prêta guère attention et marcha après avoir claqué la portière, n’attendant pas son frère pour prendre le chemin de l’appartement puisqu’elle le connaissait déjà très bien. Charles finit par attendre sagement devant la porte que le squelette insère la clef dans la serrure et entra dès qu’il était possible. Un petit chien l’accueillit et elle qui était pourtant toujours très heureuse de le câliner, le laissa de côté au grand dam du canidé qui tenta plutôt de faire la fête à son maître. Peu de chance pour qu’il réussisse à obtenir quoi que ce soit des deux Marshall ce soir-là.

La Puce s’avança jusqu’au canapé, déposa ses affaires sur ce dernier et tourna les talons en direction de Marion. « Est-ce que je peux prendre une douche ? » Demanda-t-elle en tirant quelques affaires de son sac.
Quand elle eut l’autorisation, la gosse prit s'en alla vers la salle de bain et ferma la porte à double tour, soupirant une sorte de soulagement qui laissa la paix à sa grande toquante l’espace de quelques secondes seulement. Elle se déshabilla, planta sa carcasse devant le miroir et observa son propre reflet à la recherche d’une différence qu’elle pourrait avoir avec la camée que son frère supposait qu’elle était. Sa peau était mouchetée de quelques hématomes par-ci, par-là, uniquement présents à cause de sa maladresse et ses os semblaient transpercer son épiderme tant il ne restait rien d’elle. Un soupir traversa ses lèvres alors qu’elle accorda à Marion qu’elle ressemblait de plus en plus à Holly. Seulement en apparence, il fallait bien qu’elle se rassure. Elle comprit soudain l’inquiétude qui avait teinté la voix de Marion et elle se ravisa, regarda ses pieds en se mordillant les lèvres puis s’en voulait à mourir d’avoir été une sœur si indigne.

La gosse passa sous une eau cette fois-ci brûlante et se mit à frotter son corps frénétiquement, comme pour se débarrasser de toutes les saletés qu’elle avait bien pu dire à son frère, non très adepte du savon dans la bouche. Elle passa plus de temps sous la douche que ce qu’il leur avait fallu pour regagner l’appartement en voiture et lorsqu’elle retrouva le salon, vêtue d’un long t-shirt en guise de pyjama, elle lança un regard à Marion et finit par lâcher: « T’auras qu’à retenir la facture d’eau sur mon salaire. »
Mer 9 Déc - 11:59
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